Le chateau de Saint Laurent la Roche

Description de l'ancien château de St Laurent la Roche.

Il fut construit sur les débris d'un castellum romain qui avait probablement remplacé l'enceinte gauloise, car nul doute que les Romains n'eussent remarqué la facilité de défense de ce point escarpé. C'était l'un des manoirs du Moyen-âge le mieux fortifié par la nature et par l'art de tout le Comté de Bourgogne. Grâce à sa position, grâce à l'épaisseur de ses murailles, il est resté intact jusqu'à la fin du XVII ème siècle : sentinelle avancée pour défendre la province contre les attaques des ennemis.

Assis sur un roc à pic, le donjon principal, énorme tour carrée dont le château du Pin peut donner une idée, là se trouvaient les appartements du seigneur. Les constructions adjacentes étaient entourées d'une enceinte qui suivaient de toutes parts le contour du rocher dont les escarpements lui servaient de fosses.

On y pénétrait du côté nord (Varine) par une porte à pont-levis, défendue par une grosse tour avec 2 tourelles, une échauguette (guérite d'observation placée dans un lieu élevé) au centre.

Après avoir passé sous cette porte ornée de hures de sangliers et de têtes de loups, placées là pour témoigner de l'adresse et du courage du châtelain, on arrivait dans une cour qui était comme la place d'armes de la garnison.

Cette place était bordée par des bâtiments qui renfermaient les cuisines, l'office, les écuries, le chenil et la fauconnerie, puis quelques logements pour les gens de guerre, les valets et les vassaux inférieurs qui venaient au Castel pour payer les cens et les redevances dus au suzerain.

A droite s'élevait une chapelle dont les fenêtres et les légers piliers attestaient le style ogival le plus pur, c'est à dire une construction du commencement du XIII ème siècle.

Un nouveau pont levis jeté sur un fossé creusé dans le roc vif et une nouvelle porte plus étroite mais non moins bien fortifiée que la première, conduisait au donjon, énorme tour carrée. Là se trouvaient les appartements du seigneur, composés d'une dizaine de pièces, ornées presque toutes de colonnes torses et tendues de cuirs de Cordoue et de tapis Sarrasinois. On y voyait encore au XVII ème siècle, de vieux bahuts, des sièges aux formes de banc, comme le scabellum antique, des tables carrées à pans coupés et aux pieds chargés d’hippogriffes et de chimères, des torchères en bronze allié  d'argent, des tapisseries flamandes, relatant les exploits de Roland, les amours d’Amatis, etc...

Par un large escalier en colimaçon, d'une pente si douce qu'un cheval eut pu le gravir, on arrivait à la salle d'honneur, pièce immense qui pouvait contenir une petite armée de chevaliers. Sur la vaste cheminée, armoriée d'un triple écusson, s'étalait un énorme cerf lourdement sculpté dans un bloc de chêne auquel le temps avait donné une teinte d'un noir mat qui imitait celle de l'ébène. A sa ramure étaient suspendus les armes et accessoires servant à la chasse.

La salle d'honneur était à la fois le salon de réception et la salle à manger du seigneur suzerain. C'est là en effet qu'il recevait l'hommage et les redevances, convoquaient le ban et l'arrière ban de ses vassaux, soit pour les expéditions guerrières, soit pour les grandes chasses.

Les étages supérieurs étaient occupés par le trésor et la chambre de chartes qui comme son nom l'indique renfermait tous les titres de la seigneurie de Saint Laurent qui comprenaient les villages de : Augisey, Asnières, Varéssia, Essia, Belière, Arthenas, Gevingey, Cesancey, Vincelles en partie, Rochelle, Grusse, Ste Agnès, Vercia, Rotalier, La Combe de Chalandigna et plusieurs granges et maisons isolées.

Enfin le donjon se terminait par une guette avec quatre tourelles d'où la vue s"étendait de tous côtés.

Mis en ligne par Pierre Billet, d'après deux auteurs de la deuxième moitié du XIXe siècle, J. FINOT "Un drame de famille au Moyen Age. Huguette de Ste Croix" Annuaire du Jura 1870 et A. ROUSSET, Dictionnaire géographique et statistique des communes de Franche-Comté...Département du Jura, 1855.

 

Histoire du site du château.

Le château de  St Laurent est perché sur la bordure du Revermont, en un point d'où la vue embrasse toute la plaine de Bresse. L'origine de la localité est un prieuré fondé par le monastère de Gigny au Xe ou XIe siècle, attesté à coup sûr en 1183. le prieuré est mentionné dans tous les pouillés du diocèse de Besançon et l'église prieurale, aujourd'hui paroissiale subsiste toujours. 

La fin du XIIe siècle marque un tournant dans l'histoire de St Laurent. En 1192 est conclu un traité de pariage entre Gigny et Etienne d'Auxonne, comte de Bourgogne. Les droits ecclésiastiques resteront au prieur, la haute justice reviendra au comte qui prêtera serment pour le château.Ce traité est le second de toute une série (1191, Montfleur, 1208, Montaigu, 1226, Cressia, etc...) d'actes par lesquels les grands féodaux comtois prendront le relais des monastères dans le peuplement du Jura. Le château et le bourg castral deviennent les foyers moteurs de la vie économique et du peuplement.

St Laurent la roche est un témoin privilégié de cette politique. Le château, construit sans doute dans la dernière décade du XIIe siècle devient le centre d'une châtellenie, il est explicitement mentionné en 1252 : "li chastial de Saint Laurent de la Roche et la chastellerie". Il est sans doute rapidement doublé d'un bourg, doté de franchises en 1284. Ce bourg, de petite dimension, fut fortifié. Il s'oppose à la "ville", dispersée au pied du prieuré sur les deux flancs du vallon.

Rousset décrit ainsi le château : "Le château se composait d'une enceinte fortifiée qui suivait les contours de la roche et dans laquelle on pénétrait par une seule porte à pont-levis du côté du nord. Cette porte était défendue par une grosse tour et des fausses braies ajoutées au XVe siècle. Outre les tours qui servaient à protéger l'enceinte et la porterie, il y en avait une plus haute et plus importante, de forme carrée, qu'on appelait le donjon, placé au centre... Un fossé creusé dans le roc, séparait le donjon d'un grand corps de logis qui se composait d'un certain nombre de chambres, à la suite les unes des autres, et qui servaient de résidence aux officiers de la cour du seigneur. A l'entour étaient disposées la chapelle, les habitations de quelques vassaux, les écuries, les remises, etc... Vers 1420, Hugues de Chalon fit faire les fausses braies devant la porte et dépensa plus de 2000 livres à réparer l'intérieur du château... En 1470, Philippe II d'Espagne ordonna que la forteresse de St Laurent fût démantelée. Quelques réparations y furent faîtes au moment de la guerre de 1636. Louis XIV en ordonna la démolition en 1668 " (Rousset, t. III, 393-4)

D'après un "Etat des villes et châteaux de la maison de Chalon" dressé en 1685, voici la description de ses ruines : " le château est planté sur une roche fort haute au sommet d'une montagne, qui commande au territoire d'alentour. Il ne reste que quelques masures et un grand corps de logis en pierres de taille où il n'y a ni plancher, ni sommier, tout ayant été enlevé par les paysans. Le bourg estoit au pied de la montagne ; mais tout y est renversé, et il n'en reste que quelques morceaux de tours et de murailles". (E. Clerc, mémoire sur les enceintes fortifiées des villes et bourgades du Comté de Bourgogne, Acad. de Besançon, 1865, p. 117)

"Le bourg était contigu à l'enceinte du château et s"étendait en 2 rues parallèles sur le revers oriental de la montagne. Il était environné par une épaisse muraille défendue par quatre grosses tours aux angles et par quatre portes avec pont levis. Il y avait une halle pour l'étalage des marchandises. Des nobles, des bourgeois, des officiers de justice, des marchands, des juifs, peuplaient exclusivement ce quartier. Il s'y tenait un marché chaque semaine et trois foires par an. " (Rousset, t. III, p.394).

Les annales historiques de St Laurent retiennent la peste en 1637 qui anéantit complètement la garnison du château, et surtout le séjour de Lacuzon, le héro quasi légendaire de l'indépendance Comtoise. De 1642 à 1659, Lacuzon fit de Saint Laurent la principale base des raids qu'il dirigeait vers la Bresse. La place avait une importance stratégique ou symbolique suffisante pour que Louis XIV la fasse dessiner par Van Der Meulen et graver par Bauduin dans une série consacrée à la conquête de la Franche Comté.

 

Quelques dates qui jalonnent l'histoire du château de St Laurent la Roche

-1192 La terre de St Laurent passe sous la domination du comte Etienne II de Bourgogne en vertu d'une association.

-Fin XIIe Etienne II fait bâtir un château sur le sommet de la roche dominant le village de St Laurent.

-1252 Etienne le Fevre reprend à Isabelle de Courtenay, femme du comte Jean, le château de Saint Laurent.

-XIVe On ne possède aucun document précis sur les dommages causé à St Laurent par les grandes compagnies, on sait seulement qu'à cette époque, les châteaux d'Augisey, d'Alièze,et de Ste Agnès furent ruinés.

-1302 Etienne de Chalon hérite de la seigneurie après le partage de juillet.

-1314 Béraud de Mercoeur, seigneur de St Laurent, donne à Marguerite de Ruffey tous les droits qu'il avait et pouvait avoir dans le château de Mont Orient, en murs, tranchées et édifices.

-20 décembre 1314 Etienne, second fils de Guillaume de Dompierre, seigneur de Saint Dizier, hérite de la seigneurie de St Laurent et épouse Huguette de Sainte Croix, célèbre pour sa beauté.

-27 février 1328 Huguette de Sainte Croix et Guillaume, son beau-frère, enlèvent Etienne de Saint Dizier pendant son sommeil et l'enferment au château d'Alièze où il est assassiné.

-1328 Huguette donne la garde à son cousin, Amé de Montferrand, et pour cinq ans, ses châteaux de St Laurent et Valempoulières.

-1330 Une nuit de février des hommes d'armes s'emparent de la forteresse.

-23 octobre 1337 Philippe de Vienne, seigneur de Pymont, demande la main d'Huguette de Saint Dizier et l'épouse à Saint Laurent la Roche.

-1361 Marguerite, fille d'Huguette et de Philippe de Vienne, devient la nouvelle dame de St Laurent et épouse Louis de Chalon.

-1368 Philippe de Vienne et Louis de Chalon décèdent.

-1382 Huguette de Vienne décède, sa dépouille rejoint la tombe de son premier mari, Etienne de St Dizier.

-1399 Marguerite de Vienne décède, la seigneurie de St Laurent passe dans le patrimoine des ducs de Bourgogne : Jean de Chalon, prince d'Orange.

-XVe Le Château est orné de fausses braies.

-Début XVe Louis de Chalon-Arlay III fait réaliser des restaurations importantes au château.

-1436 Une garnison occupe la forteresse. La défense du château est en partie assurée par les habitants de la ville qui doivent "le guet, la garde et montres d'armes", mais qui refusent de s'exécuter.

-1469 Louis de Chalon, Prince d'Orange, est toujours seigneur de St Laurent la Roche.

-1470 Philippe II, souverain,ordonne que la forteresse de St Laurent soit démantelée.

-1477-1479 "On ignore également quels désastres suivirent l'occupation. St Laurent, appartenant au prince d'Orange, auquel Louis XI avait voué une inimité mortelle, dut nécessairement être saccagé".

-1567-1571 François de Champagne est sire et capitaine du château de St Laurent.

-1578-1579 Le capitaine Guillaume Charreton demande de faire des réparations au château, d'acheter trois cent francs de poudre à canon et soixante francs de plomb.

-1594 Le capitaine de Courlon écrit que le vent a décapité le donjon.

-1595 Réparations d'immeubles.

-17 août 1595 Lons le Saunier où il n'avait point de garnison est investi. Les habitants du faubourg Saint Désiré rejoignent les uns le château de St Laurent, les autres le château de Savigny et d'autres places.

-18 Août 1595 Les français échouent devant Bletterans et St Laurent mais brûlent Conliège.

-1636 Des réparations sont effectuées avant la guerre.

-25 juillet 1637 Le Duc de Longueville prend St Laurent qui avait résisté dix huit jours et Bletterans. "Ils les trouvent comme cimetière de pestiférés".

-une nuit de novembre 1641 Lacuson s'empare héroïquement, avec l'aide de son lieutenant Claude Andressot, du château de Saint Laurent et lance dès cette date de nombreuses courses contre les garnisons françaises de Courlaoux, Bletterans, Cuiseaux et Saint Amour.

-28 octobre 1648 Après la paix de Westphalie, le prince d'Orange, auquel a été restitué le château, y fait une entrée solennelle.

-1658 Des plaintes, parties surtout de Saint Laurent, de Gevingey et des bourgs voisins, s'étaient élevées sur la conduite de Lacuson. Des dénonciations, sur des faits graves, étaient arrivées jusqu'au Parlement. On parlait d'excès de pouvoir de toutes sortes, de filles abusées, de femmes ravies, puis précipitées du haut des tours du château, d'impiétés, des sacrilèges, de concussions, etc. Lacuson est jeté un an en prison après un long procès.

-2 décembre 1659 Lacuson est de retour mais les intendants du prince d' Orange réalisent un visite : la plupart des bâtiments n'ont ni portes ni fenêtres ; les couvertures sont dans un état déplorable et les murailles montrent de nombreuses brèches.

-1660 Lacuson réintègre ses fonctions de gouverneur et capitaine du château de St Laurent.

-1660 Il retrouve son château inhabitable " dans ce pays dévasté, dont presque toutes les maisons avaient été sinistrées par l’ennemi, un château quasi abandonné était une carrière de pierre magnifique, un magasin de matériaux de construction bien pourvu. Même le donjon avait été complètement ruiné par un incendie".

-20 juillet 1667 "Son premier soin fut de mettre le château sur son bon pied de défense". Lacuson demande et obtient la permission de faire revue à tous les habitants de la terre de St Laurent ; ensuite de les contraindre à venir à jour fixe, travailler aux réparations du château. Il joint à sa requête, l'état des réparations les plus urgentes : une fausse porte à mettre au donjon ; sept guérites à placer sur le pourtour des murailles ; des barrières et palissades sur les divers points, etc.

-25 février 1668 D'après les traditions populaires, Lacuson renforça sa garnison, appela sous les armes tous les retrahants, qu'il mit sous les ordres de Jean Baptiste Rolland, son lieutenant, et se prépara à soutenir un siège. Les bourgeois étaient chargés de la défense des murailles et des portes du bourg. Les français firent avancer leurs canons et disposèrent leurs batteries, soit sur la montagne de la Vuarde, soit dans le champ de Leschaux. Après plusieurs jours de siège, un grand nombre de maisons étaient incendiées et beaucoup d'habitants avaient été tués par les projectiles. Lorsque la brèche parut assez large, les assiégeants tentèrent l'assaut, mais ils furent repoussés avec perte. pour suppléer au nombre des soldats qui lui manquaient, Lacuson imagina de placer sur les murailles des fantômes revêtus de costume militaire. Les Français, intimidés par la vue de ces guerriers d'une nouvelle espèce, n'osaient avancer et étaient sur le point de se retirer, lorsqu'un domestique leur offrit de les introduire dans la place par un souterrain dont il connaissait les détours. Les assiégés, ainsi surpris au milieu de la nuit, se virent contraint de capituler.

Une autre version est publiée à la S.E.J. par M. Gresset : le Parlement adresse une lettre le 21 février, à Lacuson, lui ordonnant de remettre le château de St Laurent entre les mains du seigneur comte de Gadagne, lieutenant général des armées de sa Majesté dans la Franche Comté, et à tous ceux auprès de luy de la quitter et abandonner tenus pour convaincus de crime de lèse-majesté et châtiés comme rebelle. Mais le Parlement ordonnait aussi à Lacuson "de venir incessamment rendre ses devoirs et obéissance à sa Majesté en centre ville (Dole) à la personne dudit seigneur comte".

-25 février 1668 Les français ne perdent pas de temps. le marquis de Noisy avait ordonné "aux habitants de Lons-le-Saunier et lieux circonvoisins de racer et ouvrir le château et roche de St Laurent, en sorte que personne n'y puisse jamais loger, ni s'y établir contre le service du roi et la tranquillité et repos public". Un personnage se charge de faire exécuter cet ordre : le baron de Boutavant, voulant à la fois plaire à ses maîtres et se venger de Lacuson, écrit au conseil de Lons-le-Saunier : "l'on est averti que si l'on n'y fait promptement travailler, l'on enverra ici garnison qui y demeura jusqu'à ce qu'elle soit achevée".

-Mars 1668 Les intendants écrivent au comte de Nassau en décrivant qu'ils trouvent que "la portière du château (petite porte),  la tour qui le flanque est partie des fausses brayes qui l'avoisinent, ont été renversées par terre, de telle sorte que les matériaux ont comblé le chemin de l'intérieur dudit château. Du reste le grand corps de logis n'a pas été endommagé ; et se trouve en meilleur état qu'avant la dernière guerre, et ne peut servir que pour y retirer quelques grains de l'amodiation de la tour. Mais le donjon fermé par une grosse tour carrée, dont on a établi le couvert à laves, depuis peu de temps, est démoli en partie : le massif de ladite tour est à moitié conservé ; mais le couvert est entièrement abattu, en sorte qu'on ne peut plus loger dans le susdit donjon, ni s'y assurer d'aucune retraite. Du reste, il reste quelques pièces de la ramure (charpente qui ont été en partie enlevées pendant la nuit). Les portes du donjon ont été transportées à l'église...".

-15 avril 1668 L'oeuvre de destruction est achevée : meubles, matériaux, ferrures, tout à été mis au pillage...

 

Mis en ligne par Pierre Billet d'après le rapport de Mr S. Guyot "Le puits du château" en date du 9 déc. 1999

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